La fibromyalgie, une maladie chronique qui affecte environ 1,6 % de la population française, demeure en grande partie mal comprise malgré sa prévalence. En effet, les origines précises de ce trouble restent incertaines. Diverses hypothèses ont progressivement été formulées pour tenter de l’expliquer : traumatismes psychiques, dysfonctionnements du système nerveux central, troubles du sommeil… Pour tenter de remédier à ce manque de compréhension, des études sont régulièrement menées.
Grâce à ces démarches de recherche, de premiers éléments de réponse apparaissent enfin : un lien direct vient d’être établi entre le microbiome intestinal et la fibromyalgie. Cette découverte marque un tournant notable dans la compréhension de cette pathologie et donc dans la prise en charge qui en découle.
État des connaissances actuelles sur le microbiome
Le microbiome se définit comme l'ensemble des micro-organismes (virus, parasites, bactéries et champignons) vivant en symbiose avec leur hôte dans un environnement donné. Celui-ci est personnel : chaque individu dispose de sa propre composition de micro-organismes. Ceux-ci évoluent tout au long de la vie en fonction de divers éléments tels que le mode de vie, les comportements alimentaires ou la prise de certains médicaments.
Le microbiome a un impact considérable sur notre état de santé. Par exemple, une
dysbiose (c’est-à-dire un déséquilibre du microbiote intestinal) peut être l’origine
de certaines pathologies.
À titre d’exemple, des études ont révélé que des modifications du microbiome pouvaient être associées à des maladies inflammatoires comme les MICI (maladies inflammatoires chroniques de l'intestin), ainsi qu'à des troubles d'ordre neurodégénératif, neurocomportemental et neuropsychiatrique. Ces avancées ont ainsi ouvert la voie à de nouvelles hypothèses et réflexions concernant l'implication du microbiome dans d’autres maladies.
En 2019, et pour la première fois, une équipe de chercheurs a réussi à établir un lien direct entre cette maladie chronique et certaines modifications du microbiome intestinal. Forts de ces résultats, les mêmes professionnels ont poursuivi leurs investigations par une nouvelle étude pour tenter d’en apprendre plus.
Un diagnostic fiable désormais envisageable ?
La seconde étude, publiée en 2022 dans la revue médicale Pain, vient apporter des résultats solides sur les manifestations de la fibromyalgie. Deux découvertes majeures ont ainsi pu être réalisées.
La découverte d'une signature biologique de la fibromyalgie
En premier lieu, les chercheurs ont découvert que les personnes atteintes de fibromyalgie présentent des différences biologiques significatives comparativement aux personnes en bonne santé. Il existe ainsi des différences concernant :
- La constitution du microbiome intestinal. La quantité et la variété des bactéries responsables du métabolisme de la bile sont différentes (et particulièrement marquées) chez les personnes atteintes de fibromyalgie. Celles-ci ont par ailleurs pu être clairement identifiées.
- Les niveaux d’acides biliaires dans le sang. Les femmes atteintes de fibromyalgie présentent une concentration sérique d’acides biliaires secondaires significativement altérée par rapport à celles en bonne santé. Les acides biliaires concernés ont également pu être découverts.
Les variations observées sont suffisamment claires et distinctes pour être utilisées comme un marqueur biologique, ce qui peut laisser espérer à la concrétisation d'un outil précis et concret pour le diagnostic de la fibromyalgie.
La possibilité d'évaluer et gravité des symptômes
Parallèlement, les chercheurs ont pu mettre en relation certaines altérations biologiques et la gravité des symptômes de la fibromyalgie. Concrètement, ceux-ci ont démontré que la concentration d’un acide biliaire secondaire était en moyenne cinq fois inférieure chez les patientes atteintes de fibromyalgie par rapport aux personnes en bonne santé.
Cette modification de concentration a été corrélée avec plusieurs symptômes de la fibromyalgie tels que les troubles du sommeil, la douleur, la fatigue et les problèmes cognitifs. Les variations du microbiome intestinal et des acides biliaires pourraient donc avoir un impact direct sur la gravité des symptômes.
Pistes écartées
Certaines des différences observées dans la composition du microbiome des patientes et dans les bactéries métabolisant la bile étaient vraisemblablement attribuables à la fibromyalgie, et non à d’autres facteurs individuels ou environnementaux comme on le suggérait jusqu’à présent.
Il n'est pas rare que les personnes atteintes de fibromyalgie souffrent aussi d'autres pathologies comme le syndrome du côlon irritable ou des troubles dépressifs. Néanmoins, cette dernière étude a permis de montrer que les modifications retrouvées dans les acides biliaires ne sont pas associées à ces autres maladies.
De plus, certaines analyses menées au cours de l'étude ont permis de réfuter l'hypothèse selon laquelle l'alimentation puisse jouer un rôle sur les symptômes de la fibromyalgie. Malgré l'impact de l'alimentation dans l'équilibre du microbiome intestinal, et l'importance maintenir une bonne hygiène de vie, aucune corrélation significative n’a été observée entre les habitudes alimentaires et les symptômes de la fibromyalgie. Ces résultats confirment l'idée que cette pathologie a des causes indépendantes et spécifiques.
Démontrer que la fibromyalgie et ses symptômes ne sont pas simplement dus à des facteurs externes ou à des maladies associées peut permettre d'apporter de la légitimité. En effet, affirmer qu'il s'agit d'une pathologie distincte pourrait contribuer à la reconnaissance de cette maladie et à la lutte contre les idées reçues.
Des perspectives encourageantes
À ce jour, le parcours pour diagnostiquer la fibromyalgie est encore long et difficile. Les médecins doivent notamment exclure plusieurs autres pathologies dont les symptômes se ressemblent, ce qui rend le processus d’autant plus complexe. Ce délai est particulièrement éprouvant pour les patientes au regard de la présence des symptômes (comme la douleur intense) et de leurs conséquences sur la qualité de vie.
La perspective qu'une nouvelle méthode diagnostique voit prochainement le jour est donc une véritable source d'espoir et de progrès. Théoriquement, la fibromyalgie pourrait être diagnostiquée avec une précision de plus de 90 % grâce à la mesure de la présence de six acides biliaires secondaires. De plus, évaluer biologiquement le degré de sévérité de la maladie semble une idée de plus en plus réaliste.
Le recours à l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine médical constitue un autre facteur prometteur. En intégrant les analyses biologiques avec des algorithmes d'IA, il devient possible de traiter et d'interpréter des quantités massives de données, augmentant ainsi la précision des diagnostics et des traitements. Cependant, bien que ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives, des études supplémentaires sont nécessaires avant leur adoption généralisée en pratique clinique.
