Dépression corticale envahissante
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Temps de lecture 7 min
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Dans notre dossier "Causes et symptômes de la migraine" nous avons ici rassemblé l’essentiel pour comprendre la dépression corticale.
La dépression corticale envahissante est un phénomène neurologique encore peu connu du grand public, mais qui joue un rôle central dans la compréhension de la migraine avec aura. Ce processus complexe, observé au niveau du cortex cérébral, correspond à une vague de dépolarisation neuronale suivie d'une inhibition temporaire de l'activité cérébrale, se propageant lentement à travers le cerveau. Il constitue aujourd’hui l’un des mécanismes les plus acceptés pour expliquer les symptômes neurologiques transitoires qui précèdent ou accompagnent certaines crises migraineuses : scintillements visuels, engourdissements, troubles du langage…
En s'intéressant à la dépression corticale envahissante, les chercheurs ont pu mieux cerner l'origine des auras migraineuses, mais aussi faire des parallèles avec d'autres pathologies neurologiques, comme l’épilepsie ou l’AVC. Comprendre ce phénomène, c’est donc mieux comprendre la migraine, en particulier dans ses formes les plus impressionnantes et parfois inquiétantes.
Dans cet article, nous vous expliquons ce qu’est exactement la dépression corticale envahissante, comment elle se déclenche, quels symptômes elle provoque, et en quoi elle éclaire les mécanismes de la migraine moderne.
Sommaire
La dépression corticale envahissante est probablement à l’origine de l’aura migraineuse. Plus la recherche avance, plus l’on pense que ce phénomène est peut-être même présent dans les migraines sans aura. Nous vous conseillons de lire notre article simplifié sur les mécanismes de la migraine avant d’entreprendre la lecture de cet article.
Le lien entre les facteurs déclenchants d'une crise de migraine et l'apparition de la douleur a longtemps été mal compris, même par les spécialistes. Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que de nombreux éléments identifiés par les patients migraineux comme déclencheurs peuvent hyperactiver une zone profonde du cerveau appelée l’hypothalamus.
Cette stimulation semble ensuite provoquer, pour une raison encore mal connue, une activation soudaine et brutale de certains neurones dans différentes zones du cerveau, suivie d’une période de silence complet. Ce phénomène s’appelle la dépolarisation neuronale, suivie d’une inhibition temporaire.
Une grande quantité de neurones s’activent en même temps (dépolarisation massive).
Puis, ces neurones passent tous dans une phase de silence (absence d’activité).
Cette onde se propage lentement de l’arrière du cerveau vers l’avant.
On appelle cela la dépression corticale envahissante (DCE) : une onde de dépression (inhibition) qui envahit progressivement le cortex cérébral .
Cette dépression corticale se produit principalement dans des régions sensibles aux perturbations , notamment l’aire visuelle, située à l’arrière du cerveau. C’est probablement pour cela que les aura migraineuses sont souvent visuelles (scintillements, flashs, zones floues…).
Selon les zones du cerveau traversées par la dépression corticale envahissante, les symptômes peuvent varier :
Aire visuelle (à l’arrière) → troubles visuels (scotomes, lignes en zigzag)
Aire sensitive → fourmillements, engourdissements
Aire motrice → faiblesse d’un bras ou d’une jambe
Aire du langage → difficultés à parler ou à comprendre les mots
Au fur et à mesure que cette onde progresse, elle libère massivement des protons (particules acides) qui vont diffuser dans le cerveau. Ces protons vont stimuler des récepteurs de la douleur situés au niveau des méninges , les membranes qui enveloppent le cerveau. C’est à ce moment-là que commence la phase de céphalée : le patient commence à ressentir la douleur migraineuse.
Une hypothèse très intéressante est que la dépression corticale envahissante pourrait aussi se produire chez les personnes qui n’ont pas d’aura . La différence, c’est que chez ces patients, l’onde ne passerait pas par des zones cérébrales qui provoquent des symptômes perceptibles. Autrement dit : l’activation est là, mais elle reste silencieuse .
En 1941, le professeur Lashley observe sur lui-même un scotome visuel migraineux (tache aveugle dans le champ de vision) et le relie à l’ organisation architecturale du cortex visuel. Il propose qu’il s’agisse d’une excitation corticale se propageant lentement le long de l’aire striée à une vitesse estimée de 3 mm par minute , suivie d’une phase d’inhibition neuronale.
Trois ans plus tard, en 1944, le neurophysiologiste Leão parvient à reproduire ce phénomène chez l’animal (rats et chats), qu’il nomme alors dépression corticale envahissante (DCE). Il met en évidence une onde de dépolarisation neuronale qui se propage dans la substance grise à une vitesse de 3 à 6 mm/min, suivie d’une interruption temporaire de l’activité neuronale, durant de 5 à 20 minutes.
un traumatisme direct sur le cortex
une déplétion en ions magnésium (Mg²⁺)
une stimulation excessive des récepteurs au glutamate
une accumulation d’ ions potassium (K⁺) et hydrogène (H⁺) dans le milieu extracellulaire
Fait notable : ce phénomène est entièrement d’origine neuronale, car il peut se produire en l’absence de toute structure vasculaire. Toutefois, il entraîne des modifications importantes du débit sanguin cérébral.
La DCE débute par une brève phase d’hyperactivité neuronale, responsable d’une augmentation locale du débit sanguin.
Elle s’accompagne de plusieurs perturbations physiologiques majeures :
Libération massive d’ions potassium (K⁺) et de glutamate dans l’espace extracellulaire
Entrée excessive d’ eau, de sodium (Na⁺) et de calcium (Ca²⁺) dans les neurones et les astrocytes
Ces déséquilibres ioniques et métaboliques perturbent l’environnement neuronal, jouant un rôle central dans la genèse des symptômes de l’aura migraineuse.
Les neurones deviennent alors inactifs et inactivables et le débit sanguin diminue de 20 à 30 %. Il s’agit donc d’une hyperperfusion initiale fugace de quelques minutes, suivie d’un hypo-débit de 60 à 90 minutes (Ayata et al. 2015). Cette hypoperfusion est la conséquence d’un dysfonctionnement métabolique neuronal transitoire responsable des symptômes de l’aura. La plus grande fréquence des auras est visuelle, ce qui signifie que la DCE débuterait préférentiellement au niveau occipital, là où se trouvent les aires visuelles. Ceci serait dû à la particularité des cellules gliales dans le cortex occipital, plus sensibles aux variations du milieu extracellulaire (Shibata et al. 2017).
L’hypoperfusion cérébrale reste dans les limites de l’oligémie : il n’y a pas d’argument en faveur d’une ischémie tissulaire, et le niveau d’oxygène reste normal. Il faut cependant préciser que l’hypoperfusion peut débuter avant l’aura et persister après celle-ci, pendant la phase des céphalées (Unekawa et al. 2015). De plus, elle peut apparaître lors de crises de migraine sans aura. C’est exactement ce qu’a montré l’observation d’une patiente ayant eu une crise de migraine sans aura alors qu’elle se trouvait en observation pour une épreuve d’activation cognitive.
Dès le début de la céphalée migraineuse, une hypoperfusion cérébrale postérieure de grande amplitude est apparue, s’étendant progressivement vers l’avant au cours des mesures successives (Géraud et al. 2015). Cette progression, des régions occipitales vers les régions temporales et pariétales, a été observée à plusieurs reprises chez des patients (Ayata et al. 2015). Ainsi, une crise de migraine sans aura peut être accompagnée d’une hypoperfusion corticale similaire à celle observée lors d’une DCE chez des patients avec aura.
Se pose alors la question du rôle de cette hypoperfusion dans le déclenchement de la DCE et de la crise migraineuse. Si l’hypoperfusion est la conséquence d’une DCE, cela signifie qu’elle passerait inaperçue chez certains patients migraineux sans aura.
Cette hypothèse semble toutefois improbable, compte tenu de la densité neuronale très élevée du cortex occipital. Une seconde théorie propose que l’hypoperfusion soit liée à un phénomène vasculaire primitif, qui surviendrait dès le début de la crise de migraine, avec ou sans aura. Selon son intensité et le niveau d’excitabilité corticale, ce phénomène pourrait ou non provoquer une DCE et ainsi une aura clinique. Cette vasoconstriction artériolaire pourrait être induite par l’activation de noyaux vasoconstricteurs du tronc cérébral, comme le locus coeruleus (LC) et le noyau du raphé médian (NRM) (Géraud et al. 2015).
Non, pas en elle-même. La DCE est un phénomène transitoire, réversible et sans lésion apparente du tissu cérébral. Cependant, elle peut être à l’origine de symptômes impressionnants comme les troubles visuels ou les difficultés à parler. Elle n’est pas synonyme de dommage cérébral, mais elle révèle une hyperexcitabilité neuronale propre aux patients migraineux.
Oui. Certaines études suggèrent que la DCE peut survenir dans des zones du cerveau qui ne produisent pas de symptômes perceptibles , comme les aires dites « silencieuses ». C’est pourquoi certains patients migraineux, sans aura apparente, pourraient malgré tout présenter une DCE passée inaperçue.
Pas directement. Il n’existe pas aujourd’hui de traitement spécifiquement dirigé contre la DCE. Toutefois, certains traitements de fond comme les antiépileptiques , les bêtabloquants ou encore le magnésium peuvent réduire l’excitabilité corticale et donc diminuer la fréquence des crises avec aura . La prévention passe aussi par l’identification et l’évitement des facteurs déclenchants.