De nombreux débats sur l'origine de la céphalée : la théorie vasculaire
La théorie vasculaire des crises de migraines fait l’objet d’un débat depuis très longtemps. Au cours du deuxième siècle, Galen a suggéré que le caractère lancinant et pulsatile de la céphalée tirait son origine des vaisseaux sanguins. Au Moyen- ge, Ibn Sïnä (Avicenna) rédigea son encyclopédie médicale Qanûn (Canon de la médecine) dans laquelle il suggéra que le mal de tête pouvait tirer son origine « de l’os du crâne, de la membrane située en dessous, ou de substances atteignant le site de la céphalée par le biais des vaisseaux sanguins » (Abokrysha 2009). Ce n’est qu’ensuite en 1672 que Thomas Willis proposa la première théorie vasculaire de la migraine et suggéra qu’elle était la conséquence d’une dilatation des vaisseaux sanguins de la tête (Borsook et al. 2012). Dans la seconde moitié du 19e siècle, Du Bois-Reymond un électrophysiologiste allemand, attribuait les céphalées migraineuses à un spasme artériel consécutif à une stimulation sympathique. C’est quelques années plus tard que Peter Wallmark Latham tenta de combiner les 2 hypothèses : « on constate d’abord une contraction des vaisseaux cérébraux, et donc une diminution du débit sanguin, qui est produite par l’action excitée du sympathique, puis l’épuisement du sympathique qu’entraîne cette excitation provoque une dilatation des vaisseaux qui déclenche le mal de tête » (Foxhall 2019). Latham étendit sa théorie vasomotrice à tous les aspects de la migraine, y compris les scotomes et les diverses manifestations présentes lors de la phase des auras. Selon lui, ces phénomènes sont la conséquence d’une vasoconstriction cérébrale associée à une anémie locale (Sacks 1999). Edward Liveing, tout en admettant que la cause immédiate des céphalées réside dans la dilatation des artères extra crâniennes, refusa d’imputer toutes les facettes de la migraine à cette seule théorie.
À ses yeux, cette hypothèse ne rendait compte ni des symptômes multiples, variés et souvent bilatéraux de l’aura migraineuse, ni des changements typiques associés à la crise de migraine (trouble de l’humeur, fatigue, faim, etc.) (Foxhall 2019). Les plus grands scientifiques du siècle précédent avaient clairement repéré les faiblesses de l’hypothèse vasomotrice de Latham. Ils avaient déjà compris qu’aucune théorie de ce type, si élaborée soit-elle, ne pouvait rendre compte de toutes les caractéristiques de la migraine et de ses auras. Néanmoins, cette théorie a permis de stimuler les recherches dans la compréhension de la physiopathologie de la migraine, mais divisa les chercheurs en deux groupes : les pro vasculaire, mais qui ne permetaient pas d’appréhender la migraine dans son ensemble, et ceux à la recherche d’hypothèses plus globales (Dalessio 1993). C’est le cas de Liveing qui formula sa propre théorie des « orages nerveux » et qui décrit la migraine comme « une névrose due à l’accumulation et à la décharge irrégulière de forces nerveuses » (Weatherall 2012).
Observations d'Harold G. Wolff
De son côté, Harold G. Wolff, médecin et chercheur en psychopathologie, essaya de comprendre le lien entre la théorie de l’orage nerveux et l’hypothèse vasculaire de Latham (Akkermans 2015). Lui-même migraineux, il réussit d’abord à démontrer que l’intensité du mal de tête était strictement proportionnelle à la dilatation des artères extra crâniennes, et que cette douleur pouvait être diminuée soit par compression manuelle des artères dilatées, soit par l’administration d’adrénaline ou d’ergotamine, soit encore par la rotation centrifuge de l’ensemble du corps. Sa découverte capitale fut de comprendre que la dilatation de ces artères était la cause de l’exsudation d’un fluide riche en polypeptides, ayant pour effet de provoquer une douleur localisée, elle-même suivie d’une réaction inflammatoire (Sacks 1999). Ainsi, les observations de Wolff permirent de brosser un tableau quasi définitif du mécanisme des céphalées migraineuses. Cependant, quand il tenta d’utiliser les mêmes méthodes pour étudier les auras et en particulier les scotomes, en testant plusieurs substances vasoactives, les résultats furent bien moins cohérents et pour beaucoup d’entre eux impossibles à reproduire (Blau 2004). Wolff proposa quand même une hypothèse avec maintes précautions, de l’existence probable d’une ischémie corticale locale qui pourrait expliquer les scotomes, tout en admettant que cette théorie ne puisse, à elle seule expliquer tous les symptômes de la migraine. Mais de nombreux scientifiques et médecins adoptèrent cette théorie sans tenir compte de ses incohérences (Foxhall 2019).
Peu à peu, les hypothèses vasculaires se sont rigidifiées en postulats, et pendant plusieurs années, la théorie vasomotrice de la migraine a fait foi pour décrire sa physiopathologie (Graham 1952).