Salix alba, ses propriétés exceptionnelles
De la plante à l'aspirine
Salix Alba est un arbre de la famille des salicacées communément appelé saule blanc. Il peut atteindre 25 m de haut et vivre une centaine d’années. Ses feuilles adultes sont pétiolées et très finement dentées, mesurant de 5 à 12 cm de long (Figure 7). Il est essentiellement retrouvé dans les régions tempérées d’Europe, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient (Laffont et al. 2007). C’est essentiellement son écorce qui est utilisée comme substance médicinale, du fait de son importante teneur (de 5 à 50 %) en salicine. Historiquement, l’écorce de saule est utilisée depuis plus de 2000 ans. Initialement utilisé dans les régions méditerranéennes incluant l’Égypte et la Grèce. Mais aussi dans la médecine traditionnelle chinoise et ayurvédique (Frawley et al. 2004). Dans ses écrits, Dioscoride mentionne des préparations à base de cette écorce pour lutter contre les douleurs articulaires (Dioscoride d’Anazarbe 1555). Puis l'écorce tombe dans l'oubli durant quelques siècles, avant de réapparaître pour soigner les fièvres en 1753, grâce à Edward Stone. "Si le saule pousse les pieds dans l'eau, il doit pouvoir servir au traitement des maladies causées par l'humidité et le froid, et donc les fièvres" (Wick et al. 2012). Dès 1763 en Angleterre, l’utilisation de l’écorce de saule est décrite dans les traités médicaux pour traiter la douleur et la fièvre. On la préconise pour soulager les douleurs inflammatoires articulaires: Arthrite, céphalées, tendinites, douleurs menstruelles et différents symptômes liés à la fièvre (Laffont et al. 2007).
Le XIXe siècle est marqué par le développement de la chimie moderne et des laboratoires pharmaceutiques.
Un Français, Pierre-Joseph Leroux, isole le principe actif de l'écorce de saule : la salicine, auquel on attribue les propriétés pharmacologiques de l’écorce. Ce sont des scientifiques allemands et italiens qui ont permis de développer l'acide salicylique, future aspirine. Les méthodes sont complexes et il faut encore trouver un moyen de se passer de l'écorce de saule pour permettre une fabrication à plus grande échelle. Cette étape a été l’œuvre de Kolbe, qui a trouvé une méthode permettant de faire réagir le phénol avec le gaz carbonique et d’obtenir in fine l’acide salicylique (Laffont et al.2007). L’acide salicylique devient alors extrêmement populaire pour traiter toutes sortes de pathologies. Mais son inconvénient majeur est de provoquer d’importantes brûlures d’estomac. En 1853, Charles-Frédéric Gerhardt un chimiste alsacien, fabrique l'acide acétylsalicylique moins agressif pour la muqueuse stomacale. Trente ans plus tard, l'histoire s'accélère avec le laboratoire allemand Bayer, où le chimiste Félix Hoffmann reprend et affine les recherches de ses confrères jusqu’à déposer un brevet : l'aspirine est née (Wick et al.2012). Bayer développe essentiellement sa production aux États-Unis et en France. Au cours du XXe siècle, le précieux médicament entre dans les pharmacies de tous les foyers et ce, dans le monde entier. Depuis, l'usage de l'aspirine s'est notamment élargi aux maladies cardiovasculaires. Aujourd'hui chaque année, 40.000 tonnes d'aspirine sont produites dans le monde (Laffont et al.2007).
Constituants chimiques de l’écorce de Salix Alba
Si la salicine est le constituant majoritaire de l’écorce, elle n’en est pas l’unique. Des analyses en chromatographie couplées à la spectrométrie de masse ont révélé une dizaine d’autres dérivés salicylés présents. Tels que la salicortine, la saligénine, l’isosalicine, la picéine, ou le salipurpuroside (Kammerer et al. 2005). La salicine et la salicortine sont les dérivés salicylés majoritaires. Une fois ingérés, 80 % de ces actifs sont assimilés au cours de la digestion (Steinegger et al.1972), puis métabolisés en glucose et alcool salicylique. Cet alcool salicylique est ensuite dégradé en acide salicylique par le foie (Julkunen-Tiitto et al. 1992). Néanmoins, les effets pharmacologiques observés ne peuvent pas être uniquement attribués à la salicine et aux dérivés salicylés (Nahrstedt et al. 2007). Plusieurs polyphénols et flavonoïdes ont également été retrouvés en quantité importante dans l’écorce de saule (Kammerer et al. 2005 ; Nahrstedt et al. 2007). La catéchine, l’amélopsine et la taxifoline font partie des 16 actifs principalement retrouvés (Agnolet et al. 2012). Ces composants sont connus pour leurs propriétés hautement antioxydantes, antiseptiques ou de modulation du système immunitaire (Shara et al. 2015). Ils participent ainsi à l’activité pharmacologique de l’écorce en s’associant aux effets de la salicine et des dérivés salicylés.
Propriétés anti-inflammatoires de Salix Alba
Ces dernières décennies, de nombreuses études in vivo et in vitro ont évalué l’efficacité des propriétés anti-inflammatoires de l’écorce de saule. L’équipe de Bonaterra a comparé l’activité de monocytes et macrophages humains stimulés par des lipopolysaccharides en présence d’aspirine, de Diclofénac et d’extrait d’écorce de saule (Bonaterra et al. 2010). Ils concluent à une efficacité de l’extrait d’écorce par inhibition des cytokines pro-inflammatoires, du TNF-α, de la COX-2 et une action sur la voie NF-κB (Note 3). D’autres études ont confirmé ces résultats. L’équipe de Freischmidt indique que les résultats observés ne sont pas seulement liés à la présence de la salicine ou des dérivés salicylés, mais aussi en grande partie à la catéchine et aux autres flavonoïdes (Freischmidt et al. 2012). Dans le sens de cette affirmation, une étude portant sur un extrait dépourvu de salicine, mais contenant les autres dérivés salicylés, a montré une activation du facteur érythroïde-2 nucléaire sensible aux potentiels redox. L’extrait montre alors un fort pouvoir antioxydant. Ce qui confirme l’importance des autres composés présents dans l’écorce de saule (Ishikado et al. 2013). L’équipe de Shakibaei a mené une étude visant à caractériser le mode d’action anti-inflammatoire de plusieurs extraits de plantes. En ce qui concerne l’écorce de saule, l’extrait a inhibé l’activation de NF-κB par l’interleukine-1β, ceci en s’opposant à la dégradation du complexe NF-κB-IκB et à la phosphorylation de la sous-unité p65. L’expression de la COX-2 et des métalloprotéases (MMP-9 et MMP-13) est alors significativement diminuée (Shakibaei et al. 2012).
Chez l’homme, l’efficacité de l’écorce de saule a plusieurs fois été évaluée.
En 2009, l’analyse de Vlachojannis a regroupé plusieurs études cliniques évaluant l’efficacité de l’écorce dans les douleurs lombaires (Vlachojannis et al. 2009). L’analyse portait sur 415 patients au total et a conclu à une efficacité significative de la plante par rapport au placebo. Les doses portaient alors sur 240 mg de salicine par jour, sur un traitement de deux à six semaines. L’étude de Biegert sur 127 patients conclut à une efficacité dans l’arthrite rhumatoïde pour des doses similaires, le temps d’un traitement de six semaines (Biegert et al. 2004). Dans chacune de ces études, aucun effet secondaire n’est rapporté. Dans une étude plus longue, portant sur six mois et 436 patients atteints de douleurs rhumatismales, les auteurs étudient l’association de l’écorce de saule avec des AINS ou des opioïdes. Ils concluent à une bonne tolérance des associations sur le long terme et à l’intérêt d’associer l’extrait d’écorce de saule pour accroître l’efficacité du traitement (Uehleke et al. 2013). L’ensemble de ces données a été analysé par l’agence européenne de la médecine qui, en 2007, a validé l’usage thérapeutique de l’écorce de saule blanc pour les douleurs inflammatoires articulaires mineures. Aucune précision sur la teneur en salicine n’est cependant indiquée.
Activité de modulation de la sérotonine
Plusieurs études ont montré une corrélation entre l’augmentation des marqueurs pro-inflammatoires et l’apparition de la dépression. Ainsi, les interleukines-1 et 6, ainsi que la protéine C réactive, sont des marqueurs inflammatoires fréquemment augmentés lors d’une dépression (Ovaskainen et al. 2009 ; Milaneschi et al. 2009). L’interleukine-6 a été retrouvée dans le liquide cérébrospinal de patients dépressifs à des quantités supérieures de celles du groupe placebo (Lindqvist et al. 2009). À partir de ces observations, l’équipe d’Ulrich-Merzenich s’est posée la question d’un effet potentiel de l’écorce de saule blanc comme antidépresseur (Ulrich-Merzenich et al. 2012). Chez le rat, ils comparent alors l’efficacité de plusieurs extraits d’écorce par rapport à l’imipramine. Ils observent que plus l’extrait est riche en salicine, plus l’effet antidépressif de la plante est proche de celui de l’imipramine. Dans un second temps, dans ces mêmes groupes d’animaux, ils observent une augmentation de la concentration de sérotonine au sein de l’hippocampe et une diminution de son produit de dégradation, le 5-HIAA. Les résultats observés sont similaires dans tous les groupes et le ratio HIAA/sérotonine diminue proportionnellement aux concentrations administrées. Ainsi, l’écorce de saule pourrait avoir une action modulatrice dans la sécrétion de sérotonine.