1. Périphérie : inflammation neurogène, sensibilisation des nocicepteurs
Pendant une longue période, plusieurs théories ont décrit la migraine comme un trouble vasculaire avec des céphalées attribuées uniquement à la dilatation et à l’inflammation des artères des structures méningées. Au cours des dernières décennies, les données acquises chez l’homme et l’animal ont permis de faire évoluer cette vision vers des théories plus intégrées, qui implique à la fois des composantes vasculaires et neuronales (Figure 4) (Malhotra 2016). Il est devenu de plus en plus évident que l’activation des afférences méningées, la libération de neuropeptides et l’inflammation neurogène jouent ensemble un rôle central dans la génération de la douleur migraineuse. L’inhibition de cette inflammation neurogène a été la piste thérapeutique la plus étudiée au cours de ces dernières années, marquées essentiellement par l’apparition des anticorps monoclonaux du CGRP (Xu et al. 2019). L'inflammation neurogène est un processus caractérisé par la libération de neuropeptides vasoactifs tels que le CGRP ou la substance P, à partir des terminaisons nerveuses sensorielles nociceptives périphériques.
Ces peptides conduisent à une cascade inflammatoire entraînant la vasodilatation des artères crâniennes, l’extravasation de protéines plasmatiques et la dégranulation des mastocytes dans leur tissu (Malhotra 2016). La libération des neuropeptides ainsi que la dégranulation des mastocytes, joue un rôle probable dans l’activation et la sensibilisation des nocicepteurs méningés (Ramachandran 2018). En effet, la libération de substances inflammatoires (histamine, prostaglandines, bradykinine…) sensibilise les nocicepteurs. Cette sensibilisation augmente la réactivité des neurones nociceptifs en périphérie et diminue leur seuil d’excitation à la stimulation de leur champ réceptif (Woolf 2011). Quand ils sont activés dans ce contexte particulier, la sensibilisation progressive des fibres périphériques du système trigémino-vasculaire va à son tour sensibiliser les neurones de second ordre au sein du CST et troisième ordre du thalamus (Burstein et al. 2010). L’intensification de la céphalée, quand le patient penche la tête en avant, pourrait être la manifestation d’une sensibilisation périphérique, alors que l’allodynie céphalique et extra céphalique serait la conséquence d’une sensibilisation centrale (Burstein et al. 2000).
2. Rôle du système parasympathique dans les céphalées
A. Le noyau salivaire supérieur
L’activation du système nociceptif trigéminal stimule le noyau salivaire supérieur et provoque des signes autonomes que l’on peut observer parfois dans la migraine. Il s’agit principalement d’algie vasculaire de la face, de céphalées en grappe, de l'hémicrânie paroxystique bénigne ou du SUNCT (short-lasting unilateral neuralgiform headache with conjonctival injection and tearing) (Goadsby 2002; Vandenheede 2002). Le noyau salivaire est en partie sous le contrôle de l’hypothalamus via des voies descendantes des noyaux latéral et para ventriculaire, ainsi que du noyau parabrachial. Ces régions sont essentiellement impliquées dans la régulation du sommeil, de la faim, du stress et peuvent contribuer aux symptômes végétatifs associés lors des crises de migraine. Les neurones qui projettent du noyau salivaire supérieur au niveau vasculaire libèrent du VIP et du CGRP, médiateurs de la réponse autonomique lors d’une crise de migraine (Goadsby et al. 1985; Goadsby et al. 1990).
B. L’oxyde nitrique (NO) dans les céphalées
Il a été démontré que la vasodilatation induite par le système parasympathique est la cause essentielle d’une libération de NO par les terminaisons des fibres périphériques (Burstein et al. 2005). Le NO capable de déclencher une crise quand il est administré à un patient migraineux, et semble ensuite impliqué dans tout le processus de la migraine (Olesen 2008). Le NO est un gaz catalysé par une enzyme (NOS) à trois isoformes possibles, appelées NOS endothéliales (eNOS), neuronales (nNOS) et inductibles (iNOS) (Moncada et al. 2009). La eNOS des cellules endothéliales des artères de la dure-mère et des artères cérébrales, et la nNOS présente dans les neurones pénètrent au plus proche des artérioles et peuvent jouer le rôle de vasodilatateur (Moncada et al. 2006).
Dans le ganglion trigéminal, elles colocalisent avec le CGRP dans une faible proportion. Il est intéressant de noter que la nNOS a aussi été retrouvée au niveau des fibres périvasculaires des artères cérébrales qui proviennent du ganglion sphénopalatin et otique du système nerveux parasympathique (Messlinger et al. 2000; Toda et al. 2000). Ces fibres sont dites nitroxydergiques (Toda et al. 2003) et la stimulation spécifique de celles-ci entraîne une vasodilatation des artères cérébrales et extra cérébrales, alors que la stimulation des fibres du ganglion trigéminal cause une vasodilatation exclusivement via la libération de CGRP (Edvinsson et al. 1998). Le lien entre le CGRP et le NO a longtemps été étudié, mais aucune réponse claire n’a pu être donnée. Tous deux jouent un rôle dans le déclenchement des céphalées et leurs antagonistes respectifs ont montré un effet prophylactique dans la migraine (Lassen et al. 1998; Olesen et al. 2004).
Dans le ganglion trigéminal, le CGRP et le NO colocalisent dans de nombreux neurones (Hou et al. 2001). De plus, l’expression du gène du CGRP dans le ganglion trigéminal est régulée par la présence du NO (Bellamy et al. 2006). À la suite de ces résultats, il a été suggéré que le NO soit la conséquence de la libération du CGRP. Malheureusement, d’autres études n’ont pu le confirmer (Schwenger et al. 2007). L’hypothèse reste donc encore à démontrer, mais il est intéressant de constater que les inhibiteurs des NOS sont capables de s’opposer à la dilatation induite par le CGRP (Akerman et al. 2002). Ainsi, le NO pourrait jouer un rôle dans la migraine par trois mécanismes : (i) sa libération par le système parasympathique via les fibres nitroxidergiques au niveau de la jonction neurovasculaire, (ii) la libération de NO par l’endothélium et son activation par un ligand (eNOS), (iii) par une production du système nerveux central affectant le trijumeau ou le système parasympathique (Burstein et Jakubowski 2005).