Migraine en entreprise

Migraine en entreprise

08 June 2021

J’ai découvert la migraine dans mon poste de Responsable des Ressources Humaines

Nous recueillons aujourd’hui le témoignage d’une DRH en entreprise — Émilie D. à La Rochelle et actuellement gérante d’une agence événementielle — qui a eu la délicate mission de gérer des équipes dont un des membres souffrait de migraines chroniques, dans son poste à Paris. Nous avons tenu à aborder plusieurs points, dont celui de la gestion de la personne au sein d’une équipe, et plus largement d’une entreprise. 

 

Connaissiez-vous la maladie de la migraine avant de devoir la gérer à travers un membre de votre équipe ?

Non. Pour moi, une migraine, c’est plutôt des maux de tête qui durent un certain temps. C’est juste ça. Mais je me suis rendu compte qu’on était sur des idées reçues, et elles concernent surtout les femmes. Je n’ai eu aucun de mes collaborateurs hommes qui est venu me dire qu’il avait mal à la tête, qu’il avait de grosses migraines. C’est principalement des femmes.

 

Comment se passait la relation entre votre collaboratrice et la direction ?

La relation avec la collaboratrice migraineuse ne présentait aucun souci au niveau du travail. Il était bien fait. Seulement lorsque la migraine commençait à venir, ça se voyait sur son visage parce qu’il y a des signes visibles. Elle avait les yeux qui étaient plus sollicités, le front qui se plissait souvent et fortement. J’avais aussi noté une certaine susceptibilité et une sensibilité au bruit ambiant, qui commençait à être dur. Sauf que nous étions dans un centre d’appel, avec 50 personnes sur le plateau. Alors quand la migraine arrivait, elle le signalait et on était obligé de la laisser partir plus tôt, car on voyait qu’il y avait une vraie gêne. Sauf que derrière ce départ, on avait un travail à réaliser, des délais à tenir et surtout une équipe à gérer. Ce qu’un collaborateur ne fait pas est forcément reporté sur le travail des autres. C’est là qu’on rencontre le premier problème. Le niveau de concentration de la personne migraineuse est très bas — ce qui est normal puisqu’elle a mal — et on le voit bien. Le travail n’est pas moins bien fait, mais comme le niveau de concentration est plus faible, c’est plus long. Le rendement normal n’est pas bon. Elle est plus lente.

 

Comment se passait la relation avec les autres collègues ou les autres membres de l’équipe ?

La relation avec les collègues et les membres de l’équipe est compliquée. Ils ne reconnaissent pas la migraine comme une maladie. « Tu n’as qu’un mal de tête, pourquoi ça dure autant de temps ? » Cet état ne se voit, ne s’entend pas et ne se comprend pas. C’est invisible. Comme le travail est reporté sur les autres collaborateurs, ça grince des dents ! « Je suis obligé de faire son boulot parce que madame a mal à la tête ? » Je précisais aux collaborateurs que la collègue n’est pas obligée de préciser que son arrêt maladie concerne sa migraine. Elle pourrait très bien avoir autre chose, mais elle a choisi de le partager en toute confiance. « Nous sommes une équipe, non ? On se soutient ! Si elle s’était cassé la cheville, le résultat serait le même ! » Les réflexions sont inévitables. Par contre, quand elle revient, tout le monde est content. On sentait un vrai soulagement au niveau de l’équipe. On espère qu’elle va tenir longtemps...

 

Avez-vous une procédure pour aider la personne migraineuse ?

Non, nous n’avions aucune procédure mise en place pour la personne migraineuse. Tout simplement parce que la migraine n’est pas reconnue comme une maladie handicapante. La réponse de la direction est qu’on ne peut pas prendre les maladies de chacun et organiser la vie de l’entreprise autour. Le cas par cas, ce n’est pas possible, ni gérable humainement. Les procédures existent uniquement pour les personnes dont le handicap est reconnu et ce n’est pas le cas de la migraine. On ne peut rien faire. Toutefois, en tant que chef d’équipe, nous avons tenu à accompagner cette personne et surtout à aménager son espace de travail pour aider à limiter les crises. On a installé un siège ergonomique, un matériel informatique plus adapté avec un filtre physique pour faire baisser la luminosité. De plus, on l’avait déplacé dans l’open space. Mais cela était fait parce que je reconnaissais la maladie, humainement. Ce n’est pas la hiérarchie qui m’a donné la consigne. Je l’ai fait de mon propre chef. Si on demande à la personne de rester jusqu’au bout de ses heures alors qu’elle commence à avoir une migraine, on sait très bien qu’elle ne viendra pas le lendemain matin. On ignore ensuite combien de temps elle sera absente. Il est arrivé qu’elle ne puisse pas être à son poste durant 5 jours.

 

Avez-vous fait de l’information/de la prévention vis-à-vis de cette maladie au sein de l’entreprise ?

Nous n’avons reçu aucune information de la direction, car la migraine n’est pas vue ni comprise comme une maladie, et ce, malgré le fait qu’elle soit suivie par la médecine du travail. Mais rien de plus. Nous n’avions que les arrêts maladie, mais c’est tout. Comme ce n’est pas un handicap, l’entreprise n’est pas tenue de faire le moindre effort vis-à-vis de la personne. On est totalement dans la gestion de la personne humaine. Au niveau du planning, quand ces personnes migraineuses sont absentes, c’est un casse-tête.

 

Comment réussissiez-vous à gérer le quotidien sans la personne ?

Nous n’avons pas mis en place de binôme, mais on a cherché à diminuer les tensions, surtout lors des réunions inter-équipes à cause des réflexions et des piques envoyés par les collaborateurs : « Ah, mais on ne pourra peut-être pas aller au bout du projet, car si certaines sont encore malades, ça ira pas ! » On sait très bien qui est malade, mais en tant que manager, on ne peut pas les entendre. Et on est obligé de répondre. Du coup, on répond avec bienveillance que ça pourrait arriver à n’importe qui. Je me souviens que j’étais intervenue de nombreuses fois en ce sens, en rappelant que tous les membres des équipes ont les mêmes missions. Nous étions justement formés pour être interchangeables. Il faut s’adapter, car nous sommes tous ensemble, et nous allons tous dans la même direction. On rencontre une faille, OK. Mais on est assez fort pour la combler. Et demain, ce sera peut-être quelqu’un d’autre. Après, quand on n’est pas en équipe, ce doit être plus difficile, mais je n’ai jamais eu à gérer une personne en individuel.

 

Comment était perçue humainement cette personne ?

Pour moi, Élisabeth était un rayon de soleil. Elle était une très bonne collaboratrice. Son travail était très bien fait et quand elle était bien, elle bossait deux fois plus que les autres. Mais à cause de ses migraines, elle était perçue comme une personne pas fiable. Au niveau des compétences, elle était au top. Malheureusement, elle présente une faille et cela gêne l’équipe.

 

Est-elle cantonnée à des tâches non essentielles ? Avez-vous changé sa charge de travail pour l’alléger afin d’être sûre que le travail soit fait ou dans le but qu’elle se sente mieux ?

Non ! Je m’y suis toujours refusée. On l’a embauché pour un boulot précis, elle a signé alors elle fait le job. Physiquement, elle est diminuée, elle donne ce qu’elle peut, et ensuite elle est absente... Mais ça c’est dans le cas où la migraine se déclare au travail. Mais, il y a aussi le cas où elle appelle le matin pour dire qu’elle ne viendra pas. On entend une voix de personne qui semble aller bien. C’est un peu déroutant. Quand on ne sait pas que la personne est migraineuse, ça ne s’entend pas. C’est vraiment invisible. On se demande alors si la personne refuse de se soigner. « Mais comment peux-tu être malade aussi souvent ? Tu n’as pas un traitement pour ça ? » De plus, la migraine revient tous les mois... mais je vous épargne les réflexions masculines. On va les oublier ! Quand on ne connaît pas cette maladie, on ne comprend pas. On ne comprend pas comment on peut avoir 4 jours d’arrêt pour un mal de tête. Ce n’est pas facile à gérer, ni pour l’équipe, ni pour les collaborateurs, ni pour la direction. Quand on est DRH, on sait maintenant qu’avec une personne migraineuse, on est sur un terrain handicapant. Il serait grand temps que les entreprises prennent en compte cet état. Par contre, il est très important de ne pas les stigmatiser ni les traiter de fainéants. La personne migraineuse est en grande frustration, aussi bien vis-à-vis de sa maladie que dans sa vie professionnelle, incluant la perception des autres sur son aptitude au travail. Elle est compétente et elle le sait, mais elle a cette épée de Damoclès au-dessus de la tête à cause des migraines. Pour la personne, c’est déjà difficile de vivre avec cette maladie parce qu’elle impacte les autres qu’elle le veuille ou non. Et malheureusement, ça ralentit aussi sa carrière professionnelle. Il faut donc tomber sur le bon manager qui pourra prendre en compte uniquement les compétences en faisant abstraction des absences... pas facile. Il reste du chemin à faire.

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