Le traitement de fond de la migraine

Le traitement de fond de la migraine

11 November 2020

Le traitement de fond, appelé aussi traitement prophylactique, a pour objectif principal de diminuer la fréquence des crises, puis leur intensité. Il n’est donc pas nécessaire de prescrire un traitement de fond si la fréquence ou l’intensité des crises ne retentissent pas sur la vie personnelle et socioprofessionnelle du patient.

En général, le traitement de fond pour la migraine est envisagé chez des sujets qui présentent régulièrement au moins 4 crises par mois (Massiou et al. 2005). De même, il est indispensable chez les patients qui prennent un traitement de crise plus de deux jours par semaine, en raison du risque d’évolution vers la chronicisation des migraines. Il est jugé comme efficace lorsqu’il réduit la fréquence des crises d’au moins 50 %, avec une différence d’au moins 30 % par rapport au placebo (Géraud et al. 2015).

Un traitement de fond doit s'évaluer sur une période de minimum 3 mois. Il existe de nombreuses molécules qui sont utilisées dans le traitement de fond des migraines, mais peu d’entre elles sont spécifiques. La plupart de ces molécules sont anciennes et n’ont pas été évaluées dans des essais thérapeutiques avec une méthodologie suffisante. Elles ont été classées en trois catégories : grade A pour une efficacité démontrée, grade B ou C pour une efficacité probable ou douteuse.

Liste des traitements de fond selon leur grade (Géraud et al. 2015) : Au grade A : Valproate et divalproate de sodium, Métoprolol, Propranolol, Topiramate Pour le grade B : Amitriptyline, Aténolol, Candésartan, Flunarizine, Méthysergide (AMM suspendue), Naproxène sodique, Nébivolol, Oxétorone, Pizotifène, Timolol, Venlafaxine Avec le grade C: Dihydroergotamine (AMM supprimée), Vérapamil, Gabapentine

Le choix du traitement de fond de la migraine est essentiellement conditionné par le ratio bénéfice-risque, car aucune molécule n’a démontré de supériorité d’efficacité par rapport aux autres, et l’attribution des grades correspond plus à la méthodologie appliquée qu’à l’efficacité réelle de la molécule. Utiliser des traitements non spécifiques implique une activité secondaire de la molécule et donc, potentiellement, des effets secondaires à long terme (Massiou et al. 2005)

 

flacon de médicament renversé sur fond bleu

1. Les bêtabloquants en traitement de fond

Il existe plusieurs bêtabloquants qui ont fait la preuve de leur efficacité dans le traitement de fond de la migraine, mais seul le propranolol commercialisé sous le nom d’Avlocardyl® et Hémipralon® a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de fonde de la migraine, avec le métoprolol commercialisé sous le nom de Seloken® et Lopressor®. Plusieurs autres bêtabloquants, comme par exemple l’acébutolol, l’aprénolol pourvus d’une activité sympathomimétique (qui stimule le système sympathique), n’ont montré aucune efficacité dans la prévention des migraines (Danesh et al. 2019). Ces molécules sont anciennes, leurs AMM datant de plus de 50 ans, et leur mode de fonctionnement n’est toujours pas élucidé. Il semble que leur effet agoniste « pur » sur les β-récepteurs soit essentiel à leur action antimigraineuse.
En effet, les bêtabloquants n’ayant montré aucune efficacité sont essentiellement des agonistes partiels. De plus, ils sont très lipophiles et traversent donc facilement la barrière hématoencéphalique. Ils pourraient donc agir en réduisant l’hyperactivité catécholaminergique du système nerveux central (Fumagalli et al. 2020).

 

Dans le traitement de fond de migraine, aucun bêtabloquant n’a montré de supériorité par rapport à l’autre (Jackson et al. 2015). Si l’un n’est pas efficace sur un patient, un autre bêtabloquant pourra l’être. De plus, l’efficacité du traitement de fond pourra varier dans le temps et ne plus convenir à un moment donné. L’adaptation de la posologie doit se faire au cas par cas en débutant par une dose minimale (10 mg pour l’Avlocardyl®). De par leur action sur la tension artérielle, la meilleure indication des bêtabloquants est la migraine sans aura, chez des sujets stressés ou à tendance hypertensive (Donnet et al. 2018). Si les effets secondaires restent minimes, les plus courants sont l’asthénie (fatigue) et les insomnies. C’est un usage à long terme qui peut parfois poser des problèmes. En diminuant la pression artérielle chez des patients qui n’en ont pas besoin, l’arrêt du médicament devient difficile du fait d’un risque d’hypertension de rebond (Géraud et al. 2015).

 

2. Les antisérotoninergiques

Ce groupe de médicaments rassemble plusieurs molécules avec une affinité pour les récepteurs de la sérotonine (5-HT2). Il semblerait cependant que ce ne soit pas cette activité anti sérotoninergique qui soit responsable de leur efficacité. En effet, de puissants anti 5-HT2 spécifiques ont été synthétisés, comme la kétansérine ou la miansérine, mais se sont révélés inefficaces dans la migraine (Kaumann et al. 1985 ; Shukla et al. 2001). On retrouve trois médicaments de cette classe, utilisés pour traiter la crise de migraine : le méthysergide (Désernil®), le pizotifène (Sanmigran®) et l’oxétorone (Nocertone®).
Comprendre le rôle de la sérotonine dans la migraine dans cet article.

Le méthysergide est un dérivé de l’ergot de seigle qui a montré une efficacité comparable au propranolol (Tfelt-Hansen et al. 2006). Son action serait essentiellement due à un effet vasoconstricteur par son activité agoniste sur les récepteurs 5-HT1B. Son utilisation est cependant limitée, car il ne peut pas être associé aux triptans, à cause du risque, exceptionnel mais grave, de fibrose rétropéritonéale, endocardique ou pleuropulmonaire. Il est donc réservé comme traitement alternatif dans les formes sévères de migraine ne répondant plus à aucun traitement. L’évaluation bénéfice-risque peu favorable pour ce traitement de fond a obligé l’annulation de son AMM en France, mais il reste encore très utilisé dans d’autres pays. Le pizotifène a aussi une action antihistaminique et faiblement anticholinergique. Dans certaines études, il s’est avéré plus efficace que le méthysergide (Jackson et al. 2015). D’autre part, il exerce un léger effet antidépresseur, qui fait de lui le traitement de fond le plus populaire de cette catégorie. L’oxétorone a, en plus de ses effets anti sérotoninergiques, des effets antihistaminiques, antiémétiques et neuroleptiques. Son usage est relativement limité par ses effets secondaires, avec particulièrement une somnolence parfois très invalidante chez les patients.

 

3. Les antagonistes calciques en traitement de fond

Les inhibiteurs calciques inhibent le transfert membranaire du calcium dans les cellules musculaires cardiaques et vasculaires. Ils sont donc à l’origine d’une vasodilatation importante qui permet de les classer dans les trois premiers traitements d’intention contre l’hypertension artérielle. Dans le traitement de fond de la migraine, en plus de l’effet vasodilatateur, leur efficacité est également due à une action cytoprotectrice, lors de la libération excessive d’ions calcium durant l’ischémie cérébrale (Bentué-Ferrer et al. 1989).
Nous vous invitons à lire l'article pour débutant : Comprendre les bases de la migraine

Ils interfèrent également dans la production de NO (Oxyde nitric) et la libération de neuropeptides comme le CGRP. Les trois principales molécules commercialisées pour traiter la migraine sont : la flunarizine (Sibélium®), la vérapamil (Isoptine®) et la nimodipine (Nimotop®). Le vérapamil et la nimodipine n’ont cependant pas obtenu d’AMM dans le traitement de la migraine. Cela est essentiellement dû à des résultats très disparates et non concluants dans les études cliniques, ou à des effets secondaires importants, comme l’hypotension, les œdèmes des membres inférieurs ou une bradycardie. Concernant la flunarizine son effet anticalcique est associé à une activité antihistaminique et anti-sérotoninergique. Dans des études contrôlées, son efficacité s’avère comparable à celle du propranolol (Gawel et al. 1992). L’utilisation de cette molécule est cependant limitée, principalement à cause des effets anxiodépressifs et à une prise de poids importante chez certains patients.

 

4. Les antiépileptiques

L’hyperexcitabilité corticale du cerveau enregistrée dans la migraine justifie la théorie de l’utilisation des antiépileptiques dans la prophylaxie migraineuse (Cuvellier et al. 2009). Le valproate et le topiramate sont ceux qui ont une efficacité démontrée et des effets indésirables modérés dans le traitement de la migraine. Le topiramate (Épitomax®) possède une AMM dans le traitement de la migraine, mais pas de remboursement de la Sécurité Sociale pour cette indication, dans le but d’orienter le traitement sur des médicaments possédant moins d’effets secondaires. En effet, si l’efficacité du topiramate est comparable à celle du propranolol (Diener et al. 2004), la dose avec le meilleur équilibre efficacité-tolérance de 100 mg n’est pas toujours suffisante ; or, les effets secondaires sont dose-dépendants et concernent essentiellement des troubles neurologiques comme un ralentissement psychomoteur, l’apparition de troubles de l’humeur ou d’agressivité incontrôlable. Le valproate commercialisé sous le nom de Dépakine® et Dépakote® n’a pas obtenu d’AMM non plus dans cette indication pour les mêmes raisons.

 

5. Les antidépresseurs en traitement de fond contre la migraine

Nous avons déjà évoqué dans la physiopathologie l’intérêt des antidépresseurs, capables d’augmenter le taux de sérotonine libre dans le traitement de fond la migraine (Lôo et Olié 2004). Même si l’on observe une augmentation des céphalées au début du traitement, dues à l’augmentation transitoire du taux de sérotonine libre, la normalisation progressive de ce taux confère au patient un effet protecteur (Azimova et al. 2016). Les antidépresseurs tricycliques ont été les premières molécules utilisées dans la prophylaxie des céphalées en 1964 et ont longtemps été le traitement le plus commun dans la prévention de la migraine (X. Xu et al. 2017). Ils ont rapidement été mis en concurrence avec les inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine, et plusieurs études ont montré une efficacité inférieure de ces derniers, malgré moins d’effets secondaires (Jackson et al. 2010).
L’amitriptyline (Laroxyl®) est le seul antidépresseur qui a une efficacité démontrée dans la prophylaxie migraineuse. Son efficacité est équivalente à celle du propranolol et il est intéressant de noter qu’aucune corrélation entre l’effet antidépresseur et l’effet antimigraineux n’a été retrouvée. La venlafaxine (Effexor®) est un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline et est le seul de sa catégorie à avoir démontré une efficacité dans la prophylaxie migraineuse (Jackson et al. 2010).

6. Les gepans et anticorps monoclonaux anti-CGRP

C’est en 1980 que le rôle du CGRP a été mis en évidence dans la physiopathologie de la migraine (Sandor et al. 2019). Depuis ce jour, les laboratoires pharmaceutiques n’ont cessé de développer des antagonistes dirigés contre des composants du système CGRP pour le traitement de la migraine. Les premiers antagonistes du CGRP à avoir été évalués dans le traitement de la crise migraineuse ont été appelés « gepans ». Ils ont suscité un grand intérêt au départ, car ils avaient montré une efficacité similaire à celle des triptans, tout en étant mieux tolérés (Ho et al. 2008). Ils avaient aussi l’avantage de ne présenter aucun effet vasoconstricteur, ce qui permettait leur prescription chez des patients avec des antécédents vasculaires. De plus, aucune chronicisation n’avait été observée, limitant ainsi l’apparition de céphalées par abus médicamenteux. Cependant, certaines études ultérieures ont montré une hépatotoxicité, ce qui obligea les laboratoires pharmaceutiques à abandonner la voie des gepans (Ho et al. 2016 ; Xu et al. 2016). Pendant plusieurs années, aucun traitement de fond de cette classe n’a plus été proposé. Il existe actuellement un regain d’intérêt pour le développement de nouveaux gepans qui ne provoquent pas de toxicité hépatique. Plusieurs d’entre eux sont en phase de développement, comme l’ubrogepant pour les migraines épisodiques, qui est actuellement en phase 3 (Lipton et al. 2019) ; le rimegepant pour les migraines chroniques, qui est également dans cette même phase, et l’atogepant est en phase 2 pour la prévention des migraines.

Dans l’étude ACHIEVE I de phase 3, randomisée, multicentrique et en double aveugle, ont été évaluées l’efficacité, l’innocuité et la tolérance de l’ubrogepant (Dodick et al. 2020). Administré par voie orale (50 mg ou 100 mg), il a été comparé au placebo lors de la crise migraineuse aiguë, d’intensités modérées à sévères. Sur les 1327 patients traités avec le traitement de fond, il a été constaté une absence de douleur deux heures après la prise, dans une proportion bien plus importante que dans le groupe placebo. Les résultats allaient dans le même sens concernant les critères secondaires, c’est-à-dire l’absence des symptômes les plus gênants associés à la migraine, tels que la photophobie, la phonophobie ou les nausées. Les effets secondaires le plus fréquemment observés sont des nausées, une somnolence et une sécheresse buccale.

Ainsi, les nouveaux gepans semblent pouvoir fournir une alternative utile aux triptans, particulièrement chez les patients souffrant de risque cardiovasculaire ou ne répondant pas aux triptans. Un autre développement prometteur est celui des anticorps monoclonaux dirigés contre le CGRP (eptinezumab, fremanezumab et galcanezumab) ou son récepteur. (erenumab) (Sandor et al. 2019). Selon la substance, l’administration de ce traitement de fond s’effectue par voie sous-cutanée ou intraveineuse, tous les 1 à 3 mois.

L’étude LIBERTY qui a pour but d’évaluer l’efficacité de l’erenumab contre un traitement placebo (Reuter et al. 2018) a montré qu’à 12 semaines, le nombre de patients ayant atteint une diminution d’au moins 50 % du nombre de jours de migraine par mois (critère d’évaluation principal) était de 30 % dans le groupe erenumab contre 14 % sous placebo (p = 0,002). La proportion de ceux atteignant une diminution de 75 % ou de 100 % était respectivement de 12 % contre 4 % (p = 0,025) et de 6 % contre 0 %.

L’erenumab est la première molécule à avoir été autorisée sur le marché, son AMM ayant été octroyée en mai 2018 aux États-Unis, et en septembre 2018 dans l’espace européen. Elle est disponible sous forme d’auto-injecteur pour une utilisation à domicile, et sa tolérance est excellente et comparable à celle du placebo pour presque tous les effets indésirables, et aucune hépatotoxicité n’a été reportée à ce jour. L’étude PROMISE de phase 3 a évalué contre placebo l’efficacité de l’eptinezumab (Ashina et al. 2020 ; Lipton et al. 2020). Environ la moitié des patients recevant le traitement ont obtenu une réduction de plus de 50 % des migraines mensuelles. Ces résultats prometteurs sont aussi retrouvés dans les études concernant les deux autres molécules ( Ferrari et al. 2019 ; Silberstein et al. 2017; Lamb 2018).

Cependant, il n'existe aucune étude comparative directe entre ces quatre molécules ou en comparaison avec un autre traitement prophylactique, mais dans l’ensemble, l’efficacité décrite dans les études est comparable à celle d’autres agents prophylactiques antimigraineux établis (topiramate par exemple) et ne semble pas dépendre de la fréquence des céphalées au début du traitement (Brandes et al. 2004 ; Sandor et al. 2019). Depuis l’erenumab, commercialisé sous le nom d’Aimovig®, les autres molécules ont progressivement obtenu leur AMM. C’est le cas d’Emgality (galcanezumab) des laboratoires Eli Lilly ou encore Ajovy (fremanezumab) de Teva. L’eptinezumab a été autorisé par la FDA en avril 2020 et devrait rapidement être autorisé sur le marché européen.

Actuellement, la principale restriction est le coût du traitement, estimé entre 3000 et 5000 euros par an et par patient (Sandor et al. 2019). À ce jour, aucun remboursement par les organismes payeurs n’a été approuvé, c'est pourquoi ce traitement ne sera pas disponible pour tous les patients. L’American Headache Society (AHS) a dévoilé en mars 2019 les recommandations d’usage et inclut uniquement les patients souffrant au minimum de 15 jours de céphalées par mois, dont 8 répondants aux critères de la migraine (photophobie, signes digestifs, douleur accentuée à l’effort, etc.), et après échec d’au moins 2 traitements conventionnels (American Headache Society 2018).
Si ces traitements prophylactiques spécifiques de la migraine ne peuvent pas être prescrits à tous les patients migraineux, ils constituent cependant une avancée majeure pour les patients réfractaires aux traitements actuels.

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