Femme âgée qui se tient la tête de douleur

L'expression de la douleur, un apprentissage sous contrainte

14 October 2021

Tout au long de la vie, nous continuons à apprendre à nous comporter en société. Chaque âge apporte avec lui de nouveaux rôles, de nouvelles situations dans lesquelles nous pouvons apprendre à nous comporter de manière adaptée. Cette conduite est attendue par les autres membres de notre groupe social et nous permet de gagner du temps et de l’énergie. Elle permet aussi de limiter les risques d’incompréhension et de confrontation. Si ces normes sociales n’existaient pas, il faudrait en effet que nous nous interrogions sur la conduite à tenir, à chaque fois que nous entrons en interaction avec d’autres personnes.

 

Apprendre à se comporter en société

 

Il nous arrive bien sûr à tous d’être obligé de le faire dans certaines circonstances : à l’étranger par exemple ou plus généralement, lorsque nous sommes confrontés à un groupe social auquel nous n’appartenons pas et dont nous ne connaissons pas les règles. Ces apprentissages sociaux se font le plus souvent en situation, dans le cadre de l’éducation lorsque nous sommes encore jeunes, par l’observation et l’imitation dès que nous commençons à interagir, par bien d’autres canaux au fil du temps et des expériences.

 

Exprimer sa douleur et se faire entendre

 

La douleur peut être présente ponctuellement ou chroniquement dans la vie. Pratiquement tout le monde en fait l’expérience. Ce phénomène présente une particularité : la douleur en elle-même est invisible. Elle ne devient perceptible que par son expression.

La présence ou l’absence de douleur sont souvent remises en cause. « A-t-il vraiment mal ? » « N’exagère-t-elle pas ? » ; « Ce n’est pas possible qu’il ne ressente rien ! » sont autant de réflexions qui peuvent venir commenter l’expression de la douleur d’autrui. Pourquoi est-ce ainsi ?

Pour des raisons socioculturelles, l’expression de la douleur n’est pas perçue comme un indicateur fiable de sa présence et de son intensité. C’est pour cette raison que, dans les bonnes pratiques de soins, un adage vaut toujours en matière de douleur : toute douleur exprimée existe. Pourtant, le respect de ce principe – a priori simple- pose sans cesse problème dans la pratique. Zoom sur un apprentissage sous contrainte : celui de l’expression de la douleur.

 

Chochotte !

Un enfant pleure après être tombé en glissant sur l’herbe. Sa grand-mère le relève et lui dit : « Mais, ce n’est rien ! ». Le grand frère qui courrait après lui, lui dit « Fais pas ta chochotte ! » Ne rien dire, ne pas pleurer, faire comme si de rien n’était.

L’apprentissage de la réaction a adopté lorsqu’on a mal, commence tôt dans la vie. La réaction apprise est en décalage direct avec l’expression spontanée du ressenti de l’enfant. Elle constitue une façade sociale et valorise – ici négativement bien évidemment - l’expression de la douleur pour l’enfant, celui-là même qui deviendra homme/femme, puis personne âgée. L’adolescent reviendra peut-être sur cette règle apprise mais peut-être pas ou de manière incomplète.

 Main d'une femme qui soigne le genou érafler d'un petit garçon

Oh ! Mon pauvre coeur, viens-là que je regarde cette blessure

Une petite fille se coupe le doigt avec une feuille de papier. Le doigt saigne, elle a mal. « Aïe ! ». Le père, voyant le doigt plein de sang : « Oh ! Mon pauvre coeur, viens-là que je regarde cette blessure. »

Attirer l’attention sur soi par le cri, la douleur exprimée et recevoir l’attention attendue. Le comportement est connu depuis toujours, il est instinctif diront certains. Le bébé pleure et crie pour appeler sa mère. En soi, il n’est pas différent du comportement spontané de l’enfant glissant sur l’herbe. Mais ici, ce comportement est valorisé positivement. Par là-même, la petite fille apprend qu’elle peut exprimer sa douleur et que cette expression lui permettra, au moins d’obtenir de l’attention et peut-être même d’être soulagée. Il est admis qu’elle le fasse. De là à dire que toutes les filles se plaignent pour obtenir de l’attention…

Il est bien évident que le cliché ne vaut pas toujours. Même apprise, cette conduite peut bien sûr être rejetée au cours du temps et une autre, plus en accord avec nos valeurs ou les attendus de notre âge, adoptée.

 

Ça t’apprendra !

Suite à une acrobatie défendue, un enfant tombe et se blesse. Il a mal. L’adulte lance un « Ça t’apprendra ! ». La douleur apparaît comme un châtiment, celui de ne pas s’être comporté comme il aurait dû le faire. La remarque de l’adulte vient confirmer que la douleur est méritée, que c’est la sanction pour un comportement inapproprié. Cette lecture des évènements est directement héritée de notre culture religieuse. Dans la bible, après qu’Eve ait encouragé Adam a croquer la pomme – soit après que la seule chose interdite par Dieu au jardin d’Eden ait été commise - les conséquences arrivent rapidement. Dieu châtie Adam et Eve pour lui avoir désobéi. Ce châtiment prendra plusieurs formes : la douleur et la soumission pour l’une et la pénibilité du travail pour l’autre.

 

Regardez ce que je suis capable d’endurer !

Un jeune homme sportif pousse de la fonte et souffre pendant son entraînement. Il est fier de son travail sur lui, fier du travail sur son corps, fier de ce qu’il est capable d’endurer pour aboutir à son objectif. La douleur est consentie parce qu’elle est nécessaire au dépassement de soi. D’autres le regarderont en pensant : « pourquoi s’inflige-t-il cela ? ». Une piste pour comprendre les origines de cette posture serait notre culture religieuse. N’y trouverait-on pas par exemple, la douleur comme une voie de purification de l’âme et du corps ? Ce jeune homme est peut-être aussi l’enfant qui ne voulait pas devenir une chochotte, qui sait ?

 

« Oh ben, vous savez, les douleurs avec l’âge… »

« Quand on se réveille sans avoir mal nulle part, c’est presque un miracle », répondent souvent les personnes d’un certain âge, au traditionnel « Comment ça va, ce matin ? » L’auditoire s’intéresse alors soudain à l’âge de la personne en question, avant de formuler sa réponse.

Au-delà d’un certain âge, avoir mal deviendrait un attribut parfaitement normal. Être douloureux est alors banalisé. Là encore, les personnes concernées adopteront différentes stratégies en fonction de leur histoire de vie. Pour certaines, parler de leurs maux devient un véritable sujet de conversation, pour d’autres, la douleur ne vaut pas la peine d’être exprimée. L’apprentissage de la réaction a adopter continue jusqu’à la fin de la vie. Elle conditionnera aussi l’expression de la douleur chez la personne âgée, en plus de son éducation et plus généralement son histoire de vie.

 

Les mots pour le dire

D’autres représentations sociales de la douleur existent encore et d’autres comportements y sont attachés. Rien d’étonnant qu’au bout du compte, la douleur ressentie soit si difficile à décrire. Il faudrait à certaines occasions savoir exprimer sa douleur de manière presque scientifique, son intensité, sa profondeur, sa localisation, savoir dire quand et comment elle survient sous peine de ne pas être pris au sérieux, de ne pas être vraiment Douloureux, ne pas être un « bon » douloureux !

L’expression de la douleur est toujours teintée par la culture, les origines socioculturelles du douloureux et bien évidemment son histoire de vie mais la réciproque est aussi vraie. L’auditeur décode la douleur exprimée en fonction de ses propres origines socioculturelles, que celui-ci soit aimant ou indifférent, profane ou professionnel.

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Bibliographie

• Nadia Péoc’h, Représentations sociales de la douleur – la mise en perspective praxéologique des pratiques d’accompagnement et d’éducation à la santé, Les dossiers des sciences de l’éducation, 2014. CAIRN • Isabelle Levy, La douleur : signification, expression, syndrome méditerranéen, Médecine &Hygiène, Revue internationale de soins palliatifs, 2013/4 vol28. CAIRN

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