Le cerveau et le glucose
Le cerveau représente plus de 20 % de la consommation énergétique du corps. Les neurones, comme toutes les cellules, utilisent l’énergie sous forme d’ATP. Le principal substrat énergétique utilisé par le cerveau pour produire de l’ATP est le glucose. En cas de carence d’apport en glucose, les protéines et les lipides peuvent également être mobilisés pour contenter les besoins énergétiques du cerveau (Capeau et al. 2020).
En effet, en post-prandial ou post-absorptif, les réserves en glucose sont suffisantes pour alimenter le cerveau (glycolyse ou glycogénolyse). Lors d’un jeûne, après épuisement des réserves en glycogène, la néoglucogenèse est initiée en mobilisant les protéines pour la fabrication de glucose à partir des acides aminés. Lorsque le jeûne se prolonge, afin de protéger les protéines corporelles et donc la masse musculaire, le métabolisme des acides gras est enclenché. Contrairement au muscle, le cerveau ne peut pas utiliser les acides gras libres, car ils ne passent pas la barrière hématoencéphalique.
En revanche, les corps cétoniques produits à partir de la lipolyse représentent le deuxième substrat énergétique utilisé par le cerveau. Ce phénomène de cétogenèse survient également en cas de diabète secondairement à la carence en insuline, ne permettant pas l’utilisation du glucose par le cerveau (Capeau et al. 2020).
Hypoglycémie dans la migraine
En 1935, P.A. Gray et ses collègues observent que le patient diabétique présente des symptômes similaires au patient migraineux (Gray et al. 1935) comme la faim, la fatigue, une instabilité émotionnelle, des vertiges, une confusion mentale et des céphalées. Ils rassemblent alors plusieurs expériences de leurs confrères pour en analyser les résultats.
Premièrement, ils observent une fréquence des migraines plus importante le matin, à jeun ou après un exercice physique. Le taux de glucose dans le sang de ces patients est diminué, suggérant une hypoglycémie transitoire ou un hyperinsulinisme. L’administration de 14 g de glucose suffit alors à diminuer progressivement la fréquence des crises.
Pour mieux comprendre le lien entre l’hypoglycémie observée et la migraine, ils s’intéressent au régime cétogène, régime pauvre en glucides, mais très riche en lipides pour provoquer un état de cétose. Ce régime, utilisé encore de nos jours à visée amaigrissante, oblige le foie à fabriquer des corps cétoniques à partir des matières grasses alimentaires ou des réserves en graisse de l’organisme. Ces corps cétoniques deviennent alors la principale source d’énergie des cellules. Ils constatent chez les patients migraineux suivant ce régime que la fréquence des migraines est fortement diminuée.
Depuis, de nombreuses études ont montré l’efficacité de ce régime pour traiter la migraine et une récente méta-analyse de 2017 a conclu à un intérêt certain dans la prévention des crises (Barbanti et al. 2017).
L'administration de glucose pour limiter la crise ?
En 1971, une autre équipe constate que l’administration de glucose à haute dose (50 g) chez des patients migraineux entraîne une crise dans les 8 heures dans 60 % des cas (Hockaday et al. 1971). Cette observation, confirmée à de nombreuses reprises depuis, est indépendante de la présence des auras ou de l’intensité de la migraine (Zhang et al. 2020). De même, l’administration d’insuline peut entraîner une crise de migraine dans les 2 à 3 heures (Pearce 1971; X. Wang et al. 2017). Le temps de latence entre l’administration de glucose ou d’insuline et l’apparition de la crise de migraine est le temps nécessaire à l’apparition de l’hypoglycémie.
L’injection de glucose entraine une hyperglycémie, progressivement compensée par la sécrétion d’insuline, favorisant après quelques heures l’apparition d’une hypoglycémie, à l’origine du déclenchement de la crise. La comparaison de la réaction métabolique à la suite de l’administration du glucose entre le groupe migraineux et le groupe contrôle est surprenante. Seul le groupe des migraineux présente des taux d’acides gras libres et de corps cétoniques augmentés. Ces taux augmentent à l’apparition de la céphalée et continuent leur progression tout au long de la crise (Di Lorenzo et al. 2015; Gross et al. 2019).
Par ailleurs, les taux de glucose ou de glycérol ne diffèrent pas entre les deux groupes. Certains auteurs interprètent cette cétogenèse comme une réponse à la demande énergétique accrue des neurones du patient migraineux. Cette hypothèse est basée sur l’observation que la migraine est liée à un état hypoglycémique de base sur fond d’hyperinsulinisme ; dans ce cas, l’administration de glucose à forte dose va, après quelques heures, causer une hypoglycémie fonctionnelle bien plus importante, secondaire à une forte production d’insuline.
Durant la crise, la demande énergétique du cerveau est telle que les astrocytes, incapables d’absorber du glucose, utilisent les corps cétoniques. Cette hypothèse est d’autant plus crédible que le taux de lactate (un alternatif au glucose utilisé aussi par les astrocytes) est retrouvé augmenté pendant la crise (Reyngoudt et al. 2011; Watanabe et al. 1996).
Migraine et diabète, quel lien ?
Inversement, il a été montré que les patientes migraineuses ont un risque plus faible de développer un diabète de type 2 (Fagherazzi et al. 2019). Par conséquent, la diminution de la fréquence des crises de migraine chez des patients à haut risque de développer un diabète, comme ceux en situation d’obésité, pourrait être un signe d’une augmentation de la glycémie et d’un diabète débutant. Ainsi, l’augmentation progressive de la glycémie pourrait contrebalancer l’hypoglycémie sous-jacente des migraineux.
Enfin, l’hyperinsulinisme est un état qui a souvent été rapporté chez le patient migraineux (Cavestro et al. 2007) et qui pourrait être la cause de l’état d’hypoglycémie sous-jacent retrouvé chez les migraineux. Le patient migraineux est donc au centre d’un système complexe où la stabilisation de la glycémie par l’insuline joue un rôle clé.
L’hypoglycémie et l’hyperinsulinisme ont également été corrélés à une augmentation de production de NO (Gruber et al. 2010). Ce NO est en effet un puissant vasodilatateur impliqué dans le processus de la migraine ; il fait partie des espèces réactives oxygénées (ROS) à l’origine du stress oxydatif, mais serait aussi à l’origine de l’apoptose des cellules bêta du pancréas et donc, de la progression du diabète de type 2 (Kubisch et al. 1997)
Barbanti, Piero, Luisa Fofi, Cinzia Aurilia, Gabriella Egeo, et Massimiliano Caprio. 2017. « Ketogenic Diet in Migraine: Rationale, Findings and Perspectives ». Neurological Sciences 38 (S1): 111‑15. https://doi.org/10.1007/s10072-017-2889-6. Capeau, Jacqueline, et Brigitte Hermelin. 2020. « Métabolisme des glucides et ses méthodes d’exploration chez l’homme », 39. Cavestro, Cinzia, Annalisa Rosatello, GianMatteo Micca, Marisa Ravotto, Maria Pia Marino, Giovanni Asteggiano, et Ettore Beghi. 2007. « Insulin Metabolism Is Altered in Migraineurs: A New Pathogenic Mechanism for Migraine?: November/December 2007 ». Headache: The Journal of Head and Face Pain 47 (10): 1436‑42. https://doi.org/10.1111/j.1526-4610.2007.00719.x. Di Lorenzo, C., G. Coppola, G. Sirianni, G. Di Lorenzo, M. Bracaglia, D. Di Lenola, A. Siracusano, P. Rossi, et F. Pierelli. 2015. « Migraine Improvement during Short Lasting Ketogenesis: A Proof-of-Concept Study ». European Journal of Neurology 22 (1): 170‑77. https://doi.org/10.1111/ene.12550. Fagherazzi, Guy, Douae El Fatouhi, Agnès Fournier, Gaelle Gusto, Francesca Romana Mancini, Beverley Balkau, Marie-Christine Boutron-Ruault, Tobias Kurth, et Fabrice Bonnet. 2019. « Associations Between Migraine and Type 2 Diabetes in Women: Findings From the E3N Cohort Study ». JAMA Neurology 76 (3): 257. https://doi.org/10.1001/jamaneurol.2018.3960. Gray, P. A., et H. I. Burtness. 1935. « HYPOGLYCEMIC HEADACHE* ». Endocrinology 19 (5): 549‑60. https://doi.org/10.1210/endo-19-5-549. Gross, Elena C., Rainer J. Klement, Jean Schoenen, Dominic P. D’Agostino, et Dirk Fischer. 2019. « Potential Protective Mechanisms of Ketone Bodies in Migraine Prevention ». Nutrients 11 (4): 811. https://doi.org/10.3390/nu11040811. Gruber, H-J, C Bernecker, S Pailer, G Fauler, R Horejsi, R Möller, A Lechner, F Fazekas, et M Truschnig-Wilders. 2010. « Hyperinsulinaemia in Migraineurs Is Associated with Nitric Oxide Stress ». Cephalalgia 30 (5): 593‑98. https://doi.org/10.1111/j.1468-2982.2009.02012.x. Hockaday, JudithM., D.H. Williamson, et C.W.M. Whitty. 1971. « BLOOD-GLUCOSE LEVELS AND FATTY-ACID METABOLISM IN MIGRAINE RELATED TO FASTING ». The Lancet 297 (7710): 1153‑56. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(71)91662-X. Kubisch, H. M., J. Wang, T. M. Bray, et J. P. Phillips. 1997. « Targeted Overexpression of Cu/Zn Superoxide Dismutase Protects Pancreatic Beta-Cells against Oxidative Stress ». Diabetes 46 (10): 1563‑66. https://doi.org/10.2337/diabetes.46.10.1563. Pearce, J. 1971. « Insulin Induced Hypoglycaemia in Migraine ». Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry 34 (2): 154‑56. https://doi.org/10.1136/jnnp.34.2.154. Reyngoudt, Harmen, Koen Paemeleire, Anneloor Dierickx, Benedicte Descamps, Pieter Vandemaele, Yves De Deene, et Eric Achten. 2011. « Does Visual Cortex Lactate Increase Following Photic Stimulation in Migraine without Aura Patients? A Functional 1H-MRS Study ». The Journal of Headache and Pain 12 (3): 295‑302. https://doi.org/10.1007/s10194-011-0295-7. Wang, Xin, Xin Li, YanBo Diao, ShuHan Meng, YuHang Xing, HaiBo Zhou, Dan Yang, JiaMei Sun, Hong Chen, et YaShuang Zhao. 2017. « Are Glucose and Insulin Metabolism and Diabetes Associated with Migraine? A Community-Based, Case-Control Study ». Journal of Oral & Facial Pain and Headache 31 (3): 240‑50. https://doi.org/10.11607/ofph.1843. Watanabe, H., T. Kuwabara, M. Ohkubo, S. Tsuji, et T. Yuasa. 1996. « Elevation of Cerebral Lactate Detected by Localized Sup 1 H-Magnetic Resonance Spectroscopy in Migraine during the Interictal Period ». Neurology 47 (4): 1093‑95. https://doi.org/10.1212/WNL.47.4.1093. Zhang, Ditte Georgina, Faisal Mohammad Amin, Song Guo, Mark B. Vestergaard, Anders Hougaard, et Messoud Ashina. 2020. « Plasma Glucose Levels Increase During Spontaneous Attacks of Migraine With and Without Aura ». Headache: The Journal of Head and Face Pain, février, head.13760. https://doi.org/10.1111/head.13760.